La bataille de l’eau

Cracked Earth
Cracked earth. Photo: CIAT/flickr.

NEW YORK – La très vive compétition géopolitique internationale autour des ressources naturelles alimente des luttes de pouvoir autour de certaines ressources stratégiques. Les ressources hydriques transnationales sont devenues une cause particulièrement vive de compétition et de conflits qui entraine une course à la construction de barrages et suscite des appels de plus en plus ardents pour que l’eau soit enfin reconnue par l’ONU comme une préoccupation essentielle de sécurité.

L’eau n’est pas comme les autres formes de ressources naturelles car il existe des substituts pour de nombreuses ressources, comme pour le pétrole, mais aucune pour l’eau. De même, les pays importent des énergies fossiles, du minerai, et des ressources de la biosphère comme le poisson ou le bois ; mais ils ne peuvent importer l’eau, essentiellement locale, à grande échelle et de manière prolongée – et bien moins permanente. L’eau est plus lourde que le pétrole, ce qui la rend très coûteuse à transporter sur de longues distances, même par pipeline (ce qui nécessiterait de grandes pompes très gourmandes en énergie.)

Le paradoxe de l’eau est qu’elle maintient la vie mais peut aussi provoquer la mort lorsqu’elle transporte des microbes mortels ou prend la forme d’un tsunami, d’un raz de marée, d’une tempête ou d’un ouragan. Un grand nombre de grands désastres naturels de notre époque – y compris par exemple la catastrophe de Fukushima en 2011 – est lié à l’eau.

Le réchauffement climatique risque de placer les réserves d’eau potable sous une pression croissante – en dépit de la montée des océans et de l’intensité et de la fréquence croissantes des tempêtes et des autres évènements climatiques extrêmes. L’expansion économique et démographique rapide a déjà fait de l’accès à l’eau potable un problème majeur dans une grande partie du monde. Les changements de styles de vie ont par exemple contribué à l’augmentation de la consommation d’eau par habitant, et la hausse des revenus encourage des évolutions dans les habitudes alimentaires, comme par exemple la consommation accrue de viande – une production qui exige 10 fois plus d’eau en moyenne que les calories et les protéines d’origine végétale.

Aujourd’hui, la population humaine de la planète totalise un peu plus de sept milliards d’individus, mais le bétail et quelle que soit l’époque, se monte à plus de 150 milliards de têtes. L’empreinte écologique directe de ce bétail est plus importante que celle de la population humaine, et la simple augmentation rapide de la consommation de viande devient le principal vecteur des pressions sur les réserves d’eau.

Des guerres de l’eau politiques et économiques sont déjà menées dans plusieurs régions, si l’on en juge par les constructions de barrage sur les rivières internationales et par la diplomatie coercitive ou autres moyens mis en œuvre pour empêcher ces constructions. La guerre silencieuse de l’eau a par exemple été lancée par l’Ethiopie avec la construction d’un barrage sur le Nil Bleu qui a déclenché des menaces directes et indirectes de représailles militaires de la part de l’Egypte.

Un rapport reflétant l’avis conjoint des agences de renseignement américaines avertissait déjà l’année dernière de la probabilité croissante de l’utilisation de l’eau comme arme de guerre ou outil de terrorisme dans certaines régions du monde dans les dix années à venir. Le Conseil InterAction, composé de plus de trente anciens chefs d’état ou de gouvernement, a demandé une action urgente pour éviter que certains pays luttant contre les pénuries d’eau ne deviennent des états en faillite. Le Département d’Etat américain, pour sa part, a placé l’eau au rang de « préoccupation centrale de la politique étrangère américaine. »

Dans de nombreux pays, la disponibilité inadéquate de l’eau locale influe de plus en plus sur les décisions d’implantations de nouvelles usines de production et de centrales énergétiques. La Banque Mondiale estime que de telles contraintes coûtent à la Chine 2,3% de son PIB. La Chine n’est cependant pas encore dans la catégorie des pays accablés par un problème d’eau. Ceux qui le sont, comme la Corée du Sud, l’Inde, l’Egypte ou Israël, payent le prix fort pour leurs problèmes d’eau.

Ces pays ont déjà compris que l’eau est une ressource renouvelable mais limitée. La capacité de la nature à reconstituer l’eau est fixe, ce qui limite les ressources en eau utilisables de la planète à quelques 200 000 kilomètres cubes. Mais la population humaine a presque doublé depuis 1970, tandis que la croissance de l’économie globale a été plus rapide encore.

La croissance considérable de la demande en eau ne résulte cependant pas uniquement de la croissance économique et démographique, ou du fait que la production énergétique et de produits manufacturiers et alimentaires s’adapte à cette nouvelle demande, mais également du fait que la population mondiale prend du poids. L’index de masse corporelle moyen des êtres humains est en augmentation depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, mais surtout depuis les années 80, avec une prévalence de l’obésité qui a doublé depuis trente ans.

Des citoyens plus gros impliquent une demande plus lourde en ressources naturelles, principalement en eau et en énergies. Le problème n’est donc pas juste le nombre de bouches à nourrir, mais aussi l’excès de masse corporelle grasse présente sur notre planète. Une étude publiée dans la revue britannique BMC Public Health a déterminé par exemple que si le reste du monde avait la même masse corporelle que celle des Etats-Unis, cela reviendrait à rajouter près d’un milliard d’individus à la population mondiale existante, ce qui imposerait de lourdes pressions sur les ressources hydriques.

Dans la mesure où l’ère de l’eau bon marché et abondante a laissé place à des contraintes de plus en plus lourdes en matière d’approvisionnement et de qualité, de nombreux investisseurs commencent à envisager l’eau comme le nouveau pétrole. Le développement spectaculaire de l’industrie de l’eau en bouteille depuis les années 1990 atteste d’une marchandisation croissante de la plus essentielle des ressources planétaires. Les pénuries d’eau sont susceptibles non seulement de s’intensifier et de se propager, mais les consommateurs devront aussi payer plus cher pour leur approvisionnement à l’eau.

Cette double malchance peut être atténuée uniquement par une gestion et une conservation innovante de l’eau, et par le développement de moyens non traditionnels d’approvisionnement. Comme dans le secteur pétrolier et gazier – où des modes non conventionnels d’extraction comme le schiste et les sables bitumineux se sont avérés être de réelles évolutions – le secteur de l’eau doit adopter toutes les options non conventionnelles, y compris le recyclage des eaux usées et la désalinisation des océans et des eaux saumâtres.

En résumé, nous devons nous concentrer sur le problème de l’approvisionnement en eau comme si nos vies en dépendaient. Et en effet, c’est le cas.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

Copyright Project Syndicate.

Brahma Chellaney, professeur en études stratégiques au Centre de Recherche Politique de New Delhi, est l’auteur de Asian Juggernaut (Le Géant asiatique, ndt), Water: Asia’s New Battleground (L’Eau : le nouveau terrain de bataille de l’Asie, ndt), et Water, Peace, and War: Confronting the Global Water Crisis (Eau, paix, et guerre : affronter la crise globale de l’eau, ndt).


For additional reading on this topic please see:

Improving Participartory Water Governance in Accra, Ghana

Understanding Pakistan’s Water-Security Nexus


For more information on issues and events that shape our world please visit the ISN’s Weekly Dossiers and Security Watch.

La lucha por el agua

Cracked Earth
Cracked earth. Photo: CIAT/flickr.

NUEVA YORK – La acentuada competencia geopolítica internacional por los recursos naturales ha convertido algunos recursos estratégicos en motores de una lucha de poder. Los recursos hídricos transnacionales han llegado a ser una causa particularmente activa de competencia y conflicto,  que ha desencadenado una carrera a la construcción de presas y ha provocado cada vez más llamamientos para que las Naciones Unidas reconozcan el agua como un motivo fundamental de preocupación por la seguridad.

El agua es diferente de los demás recursos naturales. Al fin y al cabo, hay substitutos para muchos recursos, incluido el petróleo, pero ninguno para el agua. Así mismo, los países pueden importar combustibles fósiles, minerales y recursos de la biosfera, como pescado y madera de construcción, pero no pueden importar agua, que es esencialmente local, en gran escala y con carácter prolongado y, menos aún, permanente. El agua pesa más que el petróleo, por lo que resulta muy caro transportarla a lo largo de grandes distancias incluso por conductos (que requerirían bombas grandes y consumidoras de gran cantidad de energía).

La paradoja del agua es la de que mantiene la vida, pero puede causar también la muerte, cuando se convierte en portadora de microbios mortales o adopta la forma de un maremoto, riada, tormenta o huracán. Muchos de los mayores desastres naturales de nuestro tiempo –incluida, por ejemplo, la catástrofe de Fukushima en 2011– han tenido que ver con el agua.

El calentamiento planetario va a afectar cada vez más a los suministros de agua potable, precisamente cuando aumenta el nivel de los océanos y se intensifica la intensidad y la frecuencia de las tormentas y otros fenómenos meteorológicos extremos. La rápida expansión económica y demográfica ya ha convertido el acceso suficiente al agua potable en un gran problema en grandes zonas del mundo. Los cambios en los estilos de vida, por ejemplo, han contribuido a un aumento del consumo de agua por habitante, pues el aumento de los ingresos fomenta el cambio de dieta, por ejemplo, en particular un mayor consumo de carne, cuya producción necesita diez veces más agua, por término medio, que las calorías y las proteínas procedentes de las plantas.

Actualmente, la población humana de la Tierra asciende a un poco más de siete mil millones de personas, pero el ganado en cualquier momento determinado asciende a más de 150.000 millones. La huella ecológica directa del ganado es mayor que la de la población humana y el rápido aumento del consumo de carne es por sí solo una causa principal de estrés hídrico.

Ya se están riñendo guerras políticas y económicas por el agua en algunas regiones, reflejadas en la construcción de presas en ríos internacionales y en la diplomacia coercitiva u otros medios para prevenir esas obras. Piénsese, por ejemplo, en la silenciosa guerra del agua desencadenada por la construcción de presas por Etiopía en el Nilo Azul, que ha provocado amenazas egipcias de represalias militares manifiestas o encubiertas.

En un informe en el que se reflejaba el dictamen conjunto de los servicios de inteligencia de los Estados Unidos se advertía el año pasado que en el próximo decenio la utilización del agua como arma de guerra o instrumento del terrorismo llegaría a ser más probable en algunas regiones. El Consejo de Interacción, compuesto por más de 30 ex jefes de Estado o de Gobierno, ha pedido la adopción de medidas urgentes para prevenir la conversión en Estados fallidos de algunos países que afrontan una grave escasez de agua. Por su parte, el Departamento de Estado de los EE.UU. ha elevado el agua a la categoría de “motivo de preocupación fundamental para la política exterior de los EE.UU”.

En muchos países, la insuficiente disponibilidad de agua local está condicionando cada vez más las decisiones sobre dónde situar las nuevas instalaciones manufactureras y centrales energéticas. El Banco Mundial calcula que esas limitaciones están costando a China el 2,3 por ciento del PIB. Sin embargo, China no está aún en la categoría de Estados con estrés hídrico. Los que sí que lo están y que se extienden desde Corea del Sur y la India hasta Egipto e Israel, están pagando un precio aún mayor por sus problemas con el agua.

Esos países ya han comprendido que el agua es un recurso renovable, pero finito. La capacidad de reabastecimiento de agua de la naturaleza es invariable, lo que limita los recursos de agua dulce utilizable a unos 200.000 kilómetros cúbicos, pero la población humana casi se ha duplicado desde 1970, mientras que la economía mundial ha crecido aún más rápidamente.

Sin embargo, los más importantes aumentos de la demanda de agua no se deben simplemente al crecimiento demográfico y económico ni a unas energía, manufactura y producción de alimentos suplementarias para atender los niveles de consumo en aumento, sino también a que la población mundial está engordando. El índice de masa corporal (IMC) medio de los seres humanos ha ido aumentando en el período posterior a la segunda guerra mundial, pero en particular desde el decenio de 1980, pues en los tres últimos decenios la prevalencia de la obesidad se ha duplicado.

Unos ciudadanos más robustos necesitan más recursos naturales, en particular agua y energía. Así, pues, la cuestión no es sólo la de cuántas bocas hay que alimentar, sino también cuánto exceso de grasa corporal hay en el planeta. Por ejemplo, según las conclusiones deun estudio publicado en la revista británica BMC Public Health, si el resto del mundo tuviera el mismo índice de masa corporal medio que los EE.UU., equivaldría a añadir casi mil millones de personas más a la población mundial, lo que exacerbaría en gran medida el estrés hídrico.

Como la época del agua barata y abundante ha quedado substituida por cada vez más limitaciones de la calidad y del abastecimiento, muchos inversores están empezando a ver el agua como el nuevo petróleo. El espectacular aumento del sector del agua embotellada desde el decenio de 1990 atestigua la mercantilización en aumento del recurso más necesario del mundo. No sólo es probable que se intensifique y se extienda la escasez de agua, sino que, además, también los consumidores tendrán que pagar cada vez más por su abastecimiento de agua.

Sólo se podrá mitigar ese doble efecto mediante una gestión y conservación innovadoras del agua y desarrollando fuentes no tradicionales de abastecimiento. Como en el sector del petróleo y del gas, donde la explotación de fuentes no tradicionales, como, por ejemplo, el esquisto y las arenas alquitranadas, ha promovido un cambio, el sector hídrico debe adoptar todas las opciones no tradicionales, incluido el reciclado de las aguas residuales y la desalación del agua de los océanos y las aguas ligeramente salobres.

En una palabra, debemos centrarnos en abordar nuestros problemas de abastecimiento de agua como si nuestra vida dependiera de ello. En realidad, así es.

Traducido del inglés por Carlos Manzano.

Copyright Project Syndicate.

Brahma Chellaney, profesor de Estudios Estratégicos en el Centro de Investigaciones Políticas de Nueva Delhi, es autor de Asian Juggernaut (“El coloso asiático”), Water, Asia’s New Battlefield (“El agua, nuevo campo de batalla de Asia”) y Water, Peace and War: Confronting the Global Water Crisis (“El agua, la paz y la guerra. Para afrontar la crisis mundial del agua”).


For additional reading on this topic please see:

Improving Participartory Water Governance in Accra, Ghana

Understanding Pakistan’s Water-Security Nexus


For more information on issues and events that shape our world please visit the ISN’s Weekly Dossiers and Security Watch.

The Battle for Water

Cracked Earth
Cracked earth. Photo: CIAT/flickr.

NEW YORK – The sharpening international geopolitical competition over natural resources has turned some strategic resources into engines of power struggle. Transnational water resources have become an especially active source of competition and conflict, triggering a dam-building race and prompting growing calls for the United Nations to recognize water as a key security concern.

Water is different from other natural resources. After all, there are substitutes for many resources, including oil, but none for water. Similarly, countries can import fossil fuels, mineral ores, and resources from the biosphere like fish and timber; but they cannot import water, which is essentially local, on a large scale and on a prolonged – much less permanent – basis. Water is heavier than oil, making it very expensive to ship or transport across long distances even by pipeline (which would require large, energy-intensive pumps).

El giro asiático de Estados Unidos no parece tener eje

Obama meets with Myanmar’s President Thein Sein. Photo: Pete Souza/Wikimedia Commons

NUEVA DELHI – El primer viaje al extranjero que hará el presidente Barack Obama después de obtener su segundo mandato electoral será a Asia, lo que destaca el nuevo papel central de esta región respecto de la economía y la seguridad de los Estados Unidos. Pero la gira asiática de Obama también recalca la importancia de una duda que genera la política estadounidense para la región: ¿el “giro” de Estados Unidos hacia Asia adquirirá contenido estratégico concreto o será solamente una continuación de políticas antiguas bajo un nuevo barniz retórico?

Estados Unidos no dejó pasar la ocasión de capitalizar las inquietudes que causa en la región la cada vez más enérgica autoafirmación de China. Es así que ha reforzado sus lazos militares con sus antiguos aliados asiáticos, a la vez que comienza a tejer lazos con otros amigos nuevos. Pero el deslumbramiento provocado por el regreso de Estados Unidos al centro de la escena en Asia no deja ver los grandes obstáculos que supone para el país seguir siendo el principal sostén de la región en materia de seguridad de cara a las ambiciones estratégicas de China.

Le « pivot » désaxé des Etats-Unis

Obama meets with Myanmar’s President Thein Sein. Photo: Pete Souza/Wikimedia Commons

NEW DELHI – Le premier voyage à l’étranger du président Barack Obama après la victoire de son second mandat met en évidence la nouvelle centralité de l’Asie par rapport à l’économie et à la sécurité des Etats-Unis. Mais la tournée d’Obama en Asie souligne également la principale question de la politique américaine dans la région : le « pivot » des Etats-Unis vers l’Asie va-t-il acquérir un contenu stratégique effectif, ou bien restera-t-il en grande partie un nouvel emballage rhétorique pour de vieilles mesures politiques ?

Les États-Unis, prompts à tirer parti des préoccupations régionales déclenchées par l’affirmation de soi de plus en plus musclée de la Chine, ont renforcé leurs liens militaires avec leurs alliés asiatiques existants et ont forgé des relations de sécurité avec de nouveaux amis. Mais le grisant retour des Etats-Unis au premier plan en Asie a obscurci ses principaux défis, pour demeurer un point d’ancrage principal de sécurité dans la région, face aux ambitions stratégiques de la Chine.