Réinventons le rêve européen !

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Bonn - EU flag
EU flag, Bonn. Photo: R/DV/RS/flickr.

PRINCETON –La crise de l’euro et le récent jubilé de la reine Elisabeth d’Angleterre n’ont semble-t-il rien en commun. Pourtant ils nous rappellent tous deux l’importance et la puissance d’un discours positif et l’impossibilité de réussir s’il fait défaut.

Commentant sur la BBC la parade grandiose de toute une flottille sur la Tamise et le défilé équestre en l’honneur de la reine, l’historien Simon Schama a parlé de “petits bateaux et de grandes idées”. Il voulait dire par là que la monarchie anglaise permet de jeter un pont entre le passé du pays et son futur en transcendant la mesquinerie et la laideur de la politique au jour le jour. L’héritage des rois et des reines qui s’enracine dans plus d’un millénaire (le symbolisme persistant des couronnes et des carrosses, ainsi que l’incarnation littérale de l’Angleterre initialement et de la Grande-Bretagne actuellement) unit l’ensemble des Britanniques autour d’une destinée commune.

Les cyniques diront qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et qu’il s’agit comme d’habitude de distraire le peuple avec du pain et des jeux. Pourtant l’objectif est d’inspirer et de faire vibrer les cœurs par un discours d’espoir et un projet. Peut-on s’attendre à ce que les Grecs, les Espagnols, les Portugais et d’autres peuples européens se réjouissent d’une austérité qui leur est imposée parce qu’en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe du Nord on les traite de fainéants et de gaspilleurs ? Ce sont des mots qui agressent, engendrent le ressentiment et la division au moment où unité et solidarité sont indispensables.

La Grèce notamment doit trouver le moyen de réconcilier son passé et son avenir, mais elle ne dispose d’aucun monarque pour cela. Et en tant que berceau de la plus ancienne démocratie de la planète, il lui faut d’autres symboles de renouveau national que des sceptres et de l’apparat. C’est avec Homère que pratiquement tous les lecteurs occidentaux ont fait connaissance avec le monde méditerranéen : ses îles, ses rivages et ses peuples unis par la diplomatie, le commerce, les mariages, l’huile, le vin et les navires. La Grèce pourrait devenir une fois de plus l’un des piliers de ce monde, si elle utilise la crise qu’elle traverse pour forger un nouvel avenir.

Cette vision n’est pas une douce utopie. Les réserves de gaz naturel de la Méditerranée de l’Est sont estimées à plus de 1000 milliards de m3 – suffisamment pour répondre à la demande mondiale pendant un an. Il y a également du gaz et d’importants gisements de pétrole au large des côtes grecques dans la mer Egée et la mer Ionienne – suffisamment pour transformer du tout au tout la situation financière de la Grèce et de toute la région. Israël et Chypre envisagent une exploration commune, Israël et la Grèce discutent d’un projet de pipeline, la Turquie et le Liban font de la prospection et l’Egypte devrait accorder des licences d’exploration.

Mais comme toujours, la politique intervient. Tous ces pays sont en conflit politique ou maritime. Au sujet de Chypre, les Turcs n’ont de relations qu’avec la République de Chypre du Nord qu’ils sont seuls à reconnaître et ils tiennent un discours menaçant sur les forages entrepris par Israël en collaboration avec le gouvernement de la République de Chypre protégé par la Grèce. Les Chypriotes grecs prennent régulièrement en otage l’UE pour s’opposer à tout accord avec la Turquie, comme l’a fait la Grèce. Les Turcs n’accepteront pas de navires chypriotes dans leurs ports et sont brouillés avec Israël depuis que neuf citoyens turcs ont été tués sur un bateau qui cherchait à rompre le blocus de Gaza par Israël. Le Liban et Israël n’ont pas de relation diplomatique.

Autrement dit les richesses, les emplois et le développement dont pourraient bénéficier les pays de la région grâce à une exploitation responsable de l’énergie leur échappent, car chacun en refuse l’accès à ses ennemis tout en exigeant pour lui la part qu’il estime lui revenir.

Le projet d’une Communauté méditerranéenne de l’énergie semble destinée à rester un rêve. Or ce sera en juillet le 60° anniversaire de la ratification du traité de Paris qui a établit la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) entre la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg seulement six ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Durant les 70 ans qui ont précédé, l’Allemagne et la France se sont combattues au cours de trois guerres dévastatrices, les deux dernières ruinant les économies du continent européen et décimant sa population.

La haine et la suspicion franco-allemande étaient au moins aussi fortes et aussi enracinées que celle qui existe entre les pays de la Méditerranée de l’Est. Néanmoins le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman et son conseiller Jean Monnet ont annoncé dès 1950 le projet de Communauté européenne, seulement cinq ans après que les troupes allemandes aient quitté Paris. Ils voulaient rendre une nouvelle guerre “non seulement impensable, mais aussi matériellement impossible”. Robert Schuman a proposé de placer la production du charbon et de l’acier sous une Haute autorité commune, empêchant ainsi les deux pays d’utiliser l’un contre l’autre les matières premières destinées à l’armement et amorçant l’émergence d’une économie industrielle commune. La CECA devint ainsi le cœur de l’UE d’aujourd’hui.

L’UE est aujourd’hui sur la corde raide, mais il suffirait que les dirigeants européens prennent quelques mesures pour amorcer une diplomatie tout aussi audacieuse. Ce serait le début de la restauration des économies européennes et méditerranéennes et de la transformation de la politique énergétique de l’Europe et de l’Asie. Si le Parlement européen et le Conseil européen décidaient que les mesures concernant les relations commerciales directes entre l’UE et Chypre du Nord se prennent à la majorité qualifiée plutôt que par consensus (soumises par conséquent au veto de Chypre), l’UE pourrait avoir des relations commerciales avec Chypre du Nord, et la Turquie pourrait faire de même avec Chypre considérée comme un tout. Ces mesures pourraient conduire à un partenariat énergétique entre la Turquie, Chypre et la Grèce et ouvrir la voie à une réconciliation entre la Turquie et Israël.

Il a fallu deux ans pour que le plan Schuman cristallise et une décennie pour qu’il se réalise. Mais à la sortie de la guerre il a insufflé espoir à des peuples européens miséreux, quelque chose dont la Grèce et Chypre, pour ne pas mentionner le Moyen-Orient et les pays d’Afrique du Nord, ont désespérément besoin. Les dirigeants européens ne surmonteront pas cette crise en exigeant de leurs citoyens une austérité qui n’a rien pour soulever l’enthousiasme. Ils doivent prendre des mesures concrètes, avec la Grèce comme partenaire à part entière et considérée d’égale à égale, pour dessiner la vision d’une Union européenne revigorée et porteuse d’espoir. L’union européenne n’a pas de reine Elisabeth. Il lui faut un nouveau Schuman et un nouveau Monnet.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Copyright Project Syndicate

Anne-Marie Slaughter est professeur en sciences politiques et affaires internationales à l’université de Princeton. Elle a été directrice de la prospective au Département d’Etat de 2009 à 2011.

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