L’étoffe des héros en politique étrangère

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Certains opposants se plaignent que le Président Barack Obama des Etats-Unis ait fait campagne en utilisant une rhétorique inspirée et une ambition « de bander l’arc de l’histoire » puis qu’il se soit révélé être un leader transactionnel et pragmatique une fois en fonction. Cependant à cet égard, Obama est loin d’être unique.

De nombreux dirigeants changent d’objectifs et de style au cours de leur carrière. L’un des grands leaders transformationnels de l’Histoire, Otto von Bismarck, est devenu en grande partie progressiste et s’est orienté vers le statu quo après avoir réalisé l’unification allemande sous le régime prussien. De même, les objectifs de politique étrangère de Franklin Delano Roosevelt et son style ont été modestes et progressistes lors de son premier mandat présidentiel, mais sont devenus transformationnels en 1938 quand il a décidé qu’Adolph Hitler représentait une menace existentielle.

Le leadership transactionnel est plus efficace dans les environnements stables et prévisibles, alors qu’un style inspiré est plus susceptible d’apparaître dans des périodes de changement politique et social rapide et discontinu. Les objectifs transformationnels et le style inspiré d’un leader comme le Mahatma Gandhi en Inde ou Nelson Mandela en Afrique du Sud peuvent influencer considérablement les résultats dans des contextes politiques fluides, en particulier dans les pays en développement aux contraintes institutionnelles faiblement structurées.

En revanche, la formation de la politique étrangère américaine subit une forte contrainte de la part des institutions du Congrès, de l’appareil administratif et de la constitution. Ainsi nous pourrions nous attendre à de plus rares occurrences de leadership transformationnel.

Mais la Constitution américaine elle-même reste ambiguë quant aux pouvoirs du Congrès et du Président en matière de politique étrangère. Au mieux, elle crée ce qu’un spécialiste en Droit constitutionnel a appelé « une invitation à lutter. » En outre, beaucoup de faits dépendent de conditions extérieures. Woodrow Wilson, Franklin Roosevelt, Harry Truman ont élaboré des objectifs transformationnels seulement pour répondre à des événements extérieurs après leur entrée en fonction.

Les situations de crise peuvent affranchir un leader doué de l’accumulation des contraintes des intérêts particuliers et de l’inertie bureaucratique qui empêchent souvent l’action du système américain. On dit que Bill Clinton, pris dans la complaisance des années 1990, aurait envié la situation de crise de Franklin Roosevelt dans les années 1930.

Dans de telles situations, l’action devient plus fluide. Un leader avec des objectifs transformationnels a de meilleures chances, et un style inspiré est plus susceptible de trouver des partisans réceptifs pour rendre leur rôle plus déterminant. Par exemple, George W. Bush a utilisé les conditions de crise qui ont suivi le 11 Septembre 2001, au service de l’affirmation du pouvoir exécutif, puis à celui de l’invasion de l’Irak.

Mais alors que des périodes d’agitation peuvent préparer le terrain pour des leaders transformationnels, il ne s’ensuit pas que les leaders audacieux et amoureux du risque soient toujours les mieux adaptés pour intervenir dans les crises qui définissent ces périodes. Le président George H. W. Bush, contrairement à son fils, était transactionnel, mais a mis en œuvre une politique étrangère très réussie.

Qu’ils soient transformationnels ou progressistes dans leurs objectifs, les leaders ont besoin,  pour être efficaces, du pouvoir de convaincre et du pouvoir de contraindre. Parmi les compétences du pouvoir de convaincre figurent l’intelligence émotionnelle (la maîtrise de soi et la capacité à utiliser les signaux émotionnels pour séduire), une vision (un portrait attrayant de l’avenir qui concilie les idéaux, les objectifs et les compétences) et communication (la capacité à utiliser les mots et les symboles pour convaincre à la fois un cercle restreint et un public plus large). Pour utiliser les ressources du pouvoir de contraindre, deux compétences sont particulièrement importantes : une capacité organisationnelle et une maîtrise machiavélique de l’intimidation, de l’achat et de la négociation pour former des coalitions victorieuses.

Par-dessus tout, un leadership efficace exige de l’intelligence contextuelle et une capacité intuitive de diagnostic qui permet à un leader de comprendre le changement, de fixer des objectifs et d’élaborer judicieusement des stratégies et des tactiques. Comme me l’a dit une fois Lee Kuan Yew, le père fondateur du Singapour moderne, un chef doit apprendre vite, évaluer la réalité, être prêt à changer d’avis lorsque les conditions changent et agir calmement en temps de crise.

L’intelligence contextuelle implique à la fois une capacité à discerner les tendances sous les apparences de la complexité et de l’adaptabilité, lorsque l’on s’efforce de façonner les événements. Bismarck a mentionné cette compétence comme la capacité à deviner les mouvements de Dieu dans l’Histoire et à saisir l’ourlet de Son habit au moment où Il balaie le passé. D’une manière plus prosaïque, les leaders dotés d’intelligence contextuelle, comme les surfeurs, ont la capacité de juger et de s’ajuster sur de nouvelles vagues et parviennent à s’y accrocher.

Les leaders de ce type non seulement adaptent leur style à la situation et aux besoins de leurs partisans, mais ils créent également des flux d’information qui « éduquent leurs intuitions. » Cela implique la capacité d’estimer la politique des groupes et de comprendre les positions et les points forts des divers intervenants, afin de décider quand et comment utiliser les compétences transactionnelles et d’inspiration. C’est la part de chance sui generis.

Cette compétence est essentielle dans les situations non structurées, où il est souvent plus difficile de poser les bonnes questions que de trouver les bonnes réponses. Les leaders dotés d’intelligence contextuelle sont doués pour donner du sens ou une feuille de route qui définit le problème auquel un groupe est confronté. Ils comprennent les tensions entre les différentes valeurs impliquées dans un problème et savent comment concilier ce que l’on souhaite avec ce qui est faisable. En particulier l’intelligence contextuelle exige une compréhension des cultures des groupes, la distribution des ressources énergétiques, les besoins et des demandes des partisans, les flux d’information et le calendrier.

L’intelligence contextuelle est particulièrement déterminante en politique étrangère, car un leader efficace doit comprendre la culture et la structure du pouvoir d’autres sociétés et leurs interactions avec un système international. Avec des années d’expérience aux affaires étrangères, George H. W. Bush avait une excellente intelligence contextuelle. Avec presque aucune expérience dans les affaires étrangères, « W » n’en avait pas. Cet écart a montré la différence entre la réussite du père et de l’échec du fils.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.

Joseph S. Nye est Professeur à l’Université de Harvard et l’auteur de Presidential Leadership and the Creation of the American Era.

© Project Syndicate 1995–2013

This article was originally published by Project Syndicate. It is republished here with their generous permission.


For additional reading on this topic please see:
Carving Out his Place in History
The Power of Diplomacy: US and EU Approaches
Do US Presidents Matter?


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