Les Pakistanais tiennent le cap

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Pakistan on a map
Pakistan. Photo: smlp.co.uk/flickr.

ISLAMABAD – Depuis la mi-décembre, le Pakistan traverse une période de volatilité politique et économique extrême, même à l’aune des normes pakistanaises. La fragile structure politique édifiée depuis le retour à un gouvernement civil tremble sur ses bases.

Tahir ul-Qadri, un chef religieux musulman en exil au Canada, arrivé à Lahore début décembre, est l’une des principales raisons de ces troubles. Dix jours après son arrivée, il s’adressait à un rassemblement de plusieurs centaines de milliers de personnes dans le parc où se dresse le Minar-e-Pakistan, et où, un an plus tôt, l’ancien joueur de cricket devenu politicien, Imran Khan, avait initié ce qu’il avait, sans grand à-propos, qualifié de tsunami politique.

Qadri a lancé un ultimatum de 20 jours au gouvernement d’Islamabad, lui demandant de mettre fin à la corruption endémique, de rétablir la Commission électorale et de nommer un gouvernement intérimaire pour superviser les prochaines élections. Ce gouvernement de transition, a-t-il exigé, devrait comprendre des technocrates, des hauts gradés à la retraire et des juges – et pourrait rester en fonction au-delà des 90 jours prévus par la constitution. A moins que le gouvernement convienne de prendre ces mesures, il mènerait une marche d’un million de ses partisans sur la capitale.

Lorsque le gouvernement a refusé de se plier à ses exigences, 50.000 personnes ont pris place à bord de bus et emprunté la célèbre route Grand Trunk Road en direction d’Islamabad, couvrant les quelques 300 kilomètres en 36 heures. Qadri n’a cessé de haranguer les manifestants tout au long du parcours, parsemant généreusement ses discours de métaphores politiques et se comparant à un nouveau Mao Zedong lancé dans un djihad destiné à purger le système et à initier une version pakistanaise du printemps arabe.

Le 10 janvier, alors que Qadri planifiait cette marche, deux attentats suicide, organisés par le groupe extrémiste sunnite interdit Lashkar-e-Jhangvi, ont ciblé la communauté chiite Hazara à Quetta, faisant plus d’une centaine de morts. Les Hazaras ont réagi en faisant des cercueils des victimes un symbole de protestation. Ils les ont aligné dans Alamdaar Street, qui traverse leur communauté, et refusé de les enterrer jusqu’à ce que le gouvernement révoque des responsables locaux ineptes et corrompus, dirigés par un nawab qui passe plus de temps à l’étranger ou à Islamabad qu’à la capitale provinciale. Le gouvernement a cédé et relevé de leurs fonctions le ministre en chef et son cabinet, donnant au gouverneur provincial le soin d’administrer cette province troublée.

Cinq jours plus tard, la Cour Suprême du Pakistan, toujours aussi active, ordonnait l’arrestation du Premier ministre Raja Pervez Ashraf et de 16 autres hauts fonctionnaires accusées comme lui d’avoir touché des pots-de-vin dans l’octroi de contrats illégaux d’approvisionnement en électricité. L’affaire porte sur la période 2008-2011, lorsque Ashraf, à l’époque ministre de l’Eau et de l’Électricité, supervisait des contrats importants de location de générateurs, nécessaires pour suppléer à une pénurie de courant qui entraînerait un manque à gagner allant jusqu’à 5 pour cent du PIB du pays.

Plusieurs rapports, publiés dans la presse et les médias électroniques, ont indiqué que les contrats octroyés par le ministère d’Ashraf impliquaient le versement de commissions. Le ministère des Finances a fait appel à la Banque asiatique de développement (BASD) qui a confirmé que ces transactions avaient donné lieu à des commissions importantes et que de nombreux générateurs en location fournissaient moins d’électricité que promis. La Cour Suprême a pris note des conclusions de la BASD et engagé des poursuites contre Ashraf et d’autres fonctionnaires, dont plusieurs dépendaient du ministère des Finances. Ashraf a démissionné de son poste, pour être plus tard nommé Premier ministre.

Des crises de moindre ampleur auraient auparavant amené l’armée à intervenir, comme en 1958, 1969, 1977 et 1999. En fait, les militaires ont dirigé le Pakistan pendant 33 ans au total depuis l’indépendance en 1947.

Mais cette fois-ci, les soldats sont restés dans leurs baraquements, pour la simple raison qu’une population sur le qui-vive, une société civile active et des médias libres et énergiques ne toléreraient pas une nouvelle incursion de l’armée sur la scène politique. Après presque cinq ans d’un État de droit démocratique, le Pakistan est sur le point d’établir un ordre politique durable et représentatif. Même si le gouvernement est loin d’être intègre et efficace, les citoyens semblent avoir trouvé un réconfort dans l’idée qu’en coopérant, les Pakistanais trouveront une  issue à la situation désastreuse dans laquelle se trouve leur pays.

Dans la soirée du 16 janvier, une réunion de la plupart des partis d’opposition à Lahore a rejeté les exigences de Qadri, tout en demandant au gouvernement de tenir le cap jusqu’aux prochaines élections. Un jour plus tard, le gouvernement a trouvé une formule qui a permis aux protagonistes de sauver la face et de renvoyer Qadri – et surtout, ses partisans – chez eux, en promettant que la Commission électorale aura du temps pour déterminer l’éligibilité des candidats selon les dispositions constitutionnelles pertinentes. Ainsi, l’arrivé de Qadri au Pakistan et son intense militantisme politique auront véritablement servi un objectif : il a renforcé la foi des Pakistanais en un système qu’ils sont en train de construire.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

Copyright Project Syndicate

Shahid Javed Burki, ancien ministre des Finances du Pakistan et ancien vice-président de la Banque mondiale, est actuellement président de l’Institut d’administration publique de Lahore.

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