WASHINGTON, DC – Les négociations relatives au programme nucléaire iranien se heurtent de nouveau à un mur, ce qui ne semble cependant pas préoccuper l’ayatollah Ali Khamenei, leader suprême du pays. En effet, Khamenei apparaît convaincu que ni les États-Unis ni Israël n’attaquera ses installations nucléaires – du moins pas avant l’élection présidentielle américaine de novembre.
Ironiquement, bien que Khamenei ne soit pas un adepte de la démocratie, il profite du fait que ses principaux ennemis soient contraints par des considérations démocratiques. Khamenei contrôlant le programme nucléaire de l’Iran ainsi que la politique étrangère du pays, les États-Unis et Israël vont devoir travailler afin de parvenir à un consensus non seulement au sein de leur système politique respectif, mais également l’un avec l’autre.
Les dirigeants iraniens, qui suivent de très près les débats politiques israéliens, estiment qu’Israël ne saurait lancer l’assaut sur leurs installations nucléaires sans une pleine coopération de l’Amérique, dans la mesure où une intervention unilatérale menacerait les relations entretenues par Israël avec son allié stratégique le plus important. Compte tenu du fait qu’une offensive israélienne nécessiterait d’être coordonnée avec les États-Unis, tandis qu’une attaque américaine ne requerrait aucun soutien militaire israélien, l’Iran considèrerait les deux pans de cette alternative comme une attaque de la part des États-Unis.
Les leaders iraniens demeurent cependant sceptiques quant à chacun de ces deux scénarios, malgré une position officielle de l’Amérique selon laquelle « toutes les options seraient envisageables » afin d’empêcher l’Iran de développer une capacité nucléaire armée. Jusqu’à présent, ils ne sont pas soumis à suffisamment de pression pour envisager un compromis. En effet, les dirigeants iraniens ne continuent-ils pas de railler Israël à distance, qualifiant le pays d’ « insulte pour l’humanité », véritable « tumeur » qu’il s’agirait pour la région d’éradiquer.
Pendant ce temps, les citoyens iraniens – dont le clergé de la ville sainte de Qom, située à proximité des installations nucléaires de Fordou – sont très inquiets quant aux conséquences d’une attaque. L’ayatollah Yousef Sanei, ancien procureur général, fort d’une certaine autorité religieuse (marja’), a demandé au gouvernement de s’abstenir de provoquer davantage Israël.
En effet, les détracteurs du gouvernement craignent que la rhétorique incendiaire utilisée par celui-ci ne mène à une guerre dévastatrice. Pour autant, aux yeux des dirigeants iraniens, ces agressions verbales ont une valeur tactique dans la mesure où elles renforcent au sein du public israélien l’opinion selon laquelle l’Iran est un ennemi dangereux, prêt à riposter violemment.
En réalité, le discours anti-israélien reflète chez les leaders iraniens une confiance dans l’idée qu’Israël ne se résoudra pas à attaquer – un point de vue confirmé par la situation en Syrie. Ils sont convaincus que, même en cas d’effondrement du président syrien Bachar al-Assad, l’Iran sera en mesure de déstabiliser le pays d’une telle manière que celui-ci se posera en menace majeure pour la sécurité d’Israël. Selon cette conception, c’est bien Israël qui aurait intérêt à s’abstenir de contrarier davantage l’Iran, et non l’inverse.
Plusieurs éditoriaux parus dans le quotidien Kayhan – journal extrémiste iranien véritablement porte-parole du leader suprême – indiquent que Khamenei serait impatient de voir se jouer l’élection présidentielle américaine. Quelle que soit l’issue de celle-ci, il ne s’attend à aucune menace d’intervention militaire, au moins jusqu’à l’année prochaine. Une victoire d’Obama renforcerait la réticence de l’Amérique à attaquer l’Iran ainsi que les efforts renouvelés de celle-ci pour continuer de tirer les ficelles en Israël. D’un autre côté, si le challenger républicain Mitt Romney est élu, il lui faudra plusieurs mois pour composer son équipe en charge de la sécurité nationale ainsi que pour assembler son cabinet, ce qui rend impossible toute intervention immédiate en Iran.
Ceci dit, depuis l’émergence de la République islamique en 1979, les dirigeants iraniens ont généralement tendance à préférer les présidents républicains aux démocrates : malgré la dureté de leurs discours, les républicains ont toujours été plus enclins à s’engager en Iran de manière pragmatique. En effet, l’Iran ayant jusqu’à présent survécu aux sévères sanctions internationales prononcées à son encontre, ses dirigeants estiment qu’il est possible que les États-Unis lui proposent après l’élection – et notamment en cas de victoire de Romney – de lui reconnaître le droit d’enrichir de l’uranium.
En réalité, il est loin d’être certain que l’Iran ait les épaules pour supporter indéfiniment la pression des sanctions actuelles. Mais la confiance des dirigeants iraniens dans leur capacité à supporter cette pression demeure un élément crucial de leur stratégie, et l’Occident ne saurait se permettre d’ignorer leur point de vue. L’Amérique, qu’elle soit conduite par Obama ou par Romney, doit comprendre que l’Iran ne négociera pas sérieusement sur le sujet de son programme nucléaire tant qu’elle n’obtiendra pas un consensus clair, convainquant et unifié de la part des États-Unis et d’Israël à l’égard d’une approche qui appréhende à la fois les ambitions de l’Iran et les inquiétudes d’Israël.
L’aboutissement à un tel consensus dans un contexte d’élection présidentielle américaine ne sera pas une mince affaire. De même, l’émergence de ce consensus en Israël ne sera pas chose facile, d’autant plus que les partis politiques du pays se préparent à l’élection de l’an prochain. Ce n’est pourtant qu’à la condition d’une cohésion bien plus prononcée entre les États-Unis et Israël que les dirigeants iraniens commenceront seulement à envisager d’accepter un compromis sur la question de leur programme nucléaire.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
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Mehdi Khalaji est membre principal à l’Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient.
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