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El factor anarquía en Siria

Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member
Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member (Photo: Freedomhouse2/flickr)

TEL AVIV – L’incapacité de l’administration Obama, de ses alliés occidentaux et d’un certain nombre de puissances régionales du Moyen-Orient de prendre des mesures plus audacieuses pour mettre un coup d’arrêt au carnage syrien est souvent justifiée par leur peur de l’anarchie. Certains soutiennent que compte tenu de l’inefficacité et la désunion manifestes de l’opposition syrienne, la chute du président Bashar al-Assad, lorsqu’elle se produira enfin, entraînera guerre civile, massacres et chaos, susceptibles de se répandre au-delà des frontières de la Syrie, déstabilisant davantage des voisins déjà fragilisés comme l’Irak et le Liban, et conduisant potentiellement à une crise régionale.

La réalité de ce qui se passe en Syrie contredit tout à fait cet argument. En fait, la crise persistante est en train de corroder le tissu de la société syrienne et de son gouvernement. C’est en ce moment-même que s’installe l’anarchie : elle précède – en la précipitant – l’effondrement final de régime.

Les États-Unis, comme beaucoup d’autres, privilégient actuellement les grands discours et les mesures condamnatrices symboliques à une action réelle en Syrie. Les sanctions qui frappent les auteurs d’attaques électroniques dirigées contre les médias sociaux de l’opposition ne sauraient constituer une réponse aux bombardements des quartiers civils d’Homs et de Deraa.

Depuis plusieurs mois, les obstructions russe et chinoise au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies ont constitué de réels obstacles à des sanctions plus efficaces, mais également un voile bien pratique en faveur de l’inaction. Plus récemment, la mission de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, assurée au nom de la Ligue arabe des Nations Unies, a joué un rôle tout à fait similaire.

Annan a élaboré un plan en six points pour mettre un terme à la violence et amorcer les négociations politiques. Il a fait envoyer en Syrie un groupe d’inspecteurs afin de superviser l’application de ce plan, et l’ONU est sur le point d’appuyer cette mission. Cependant, de façon prévisible, la stratégie d’Annan ne fonctionne pas, comme celui-ci l’a lui-même quasiment reconnu dans un rapport formulé à l’issue d’une session à huis clos du Conseil de sécurité, le 25 avril.

Annan n’a pas utilisé le terme d’échec, mais il a décrit la situation syrienne comme « assombrie ». De toute évidence, la mission d’Annan a ménagé un peu de répit au régime, et créé l’illusion temporaire de progrès politiques et diplomatiques. Pour autant, selon un certain nombre de rapports, en trop grand nombre et bien trop crédibles pour être mis en doute, le régime d’Assad (et, dans une certaine mesure, ses opposants) ne s’est pas conformé au plan après l’avoir pourtant signé : les troupes se sont retirées des zones urbaines avant les inspections, pour les réinvestir une fois les inspecteurs repartis. Des civils et des quartiers entiers ont été sévèrement punis pour s’être plaints auprès des inspecteurs et avoir coopéré avec eux.

Mais la fenêtre de répit concédée au régime ne saurait signifier son salut. À première vue, le régime apparaît presque intact. La loyauté de l’armée et de l’appareil sécuritaire est sans faille, le cabinet n’a subi que peu de défections, et les foyers de population clés de Damas et d’Alep n’ont pas rejoint la rébellion.

Néanmoins, dans le pays en tant qu’ensemble, le gouvernement est en train de s’effondrer. Des régions entières échappent désormais à son contrôle, les services publics ne remplissent plus leur rôle, et l’économie est en chute libre.

La fin du règne d’Assad ne semble toujours pas imminente, mais elle est désormais inéluctable. Le régime a perdu toute légitimité, et son efficacité faiblit. Quand il se sera finalement effondré, l’État puissant bâti par le père de Bashar, Hafez al-Assad, laissera à peine quelques traces.

Un dicton résonne depuis quelques temps dans cette crise syrienne : « La Syrie n’est pas la Lybie ». Une autre analogie semble plus appropriée. La Syrie pourrait bien devenir un second Irak, non par dessein mais comme conséquence involontaire de la politique actuelle.

L’occupant américain en Irak, à travers sa politique de « débaasification », a laissé l’Irak sans armée et sans gouvernement, ce qui s’est avéré être un terrain fertile pour les insurgés sunnites, al-Qaïda, et autres groupes chiites violents. C’est vers une issue semblable que s’oriente actuellement la Syrie, un nombre croissant d’islamistes radicaux pénétrant en territoire syrien pour rejoindre l’opposition.

Dans ce contexte, il est important de considérer la différence entre l’opposition « politique » et les groupes d’opposition locaux qui mènent sur le terrain un combat contre le régime. Des groupes comme le Conseil national syrien consistent en associations informelles d’individus et de groupements, dont beaucoup se situent hors de la Syrie.

Il s’agit là des groupes critiqués par l’administration Obama et bien d’autres pour leur incapacité à démontrer un front uni, à formuler un programme crédible, ou à constituer une alternative viable au régime actuel. Mais ces groupes ont une influence limitée sur les groupes d’opposition locaux situés en Syrie, qui sont tout aussi divers et divisés.

C’est au sein de ces groupes que les islamistes radicaux impriment leur empreinte. La peur d’une nouvelle prise de contrôle islamiste constitue un deuxième argument en défaveur du renversement d’Assad. Pourtant, plus longtemps il restera au pouvoir, plus significative sera la progression des islamistes sur le terrain.

Il n’est pas dans l’intérêt de l’administration Obama, concentrée sur l’élection présidentielle de novembre, d’avoir à gérer une crise majeure en Syrie pendant les mois prochains, sans parler du risque pour elle d’un nouvel enchevêtrement militaire. D’autres acteurs semblent également préférer une crise actuelle apparemment limitée à des alternatives incertaines.

Cependant, les arguments moraux implacables en faveur d’une intervention humanitaire se trouvent de plus en plus renforcés par la raison d’État. De plus, une intervention militaire ou semi-militaire n’est pas la seule option possible. Comme le démontrent clairement les sanctions imposées à l’Iran en dehors du Conseil de sécurité, une action efficace peut être entreprise afin de faire pencher la balance vers une sortie de l’impasse meurtrière syrienne. La faveur actuelle faite à l’inaction, bien qu’elle soit compréhensible, menace d’aboutir précisément aux conséquences que ses partisans s’efforcent d’éviter.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright Project Syndicate


Itamar Rabinovich, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis (1993-1996) intervient actuellement à l’Université de Tel Aviv, à l’Université de New York, ainsi qu’à la Brookings Institution.

For further information on the topic, please view the following publications from our partners:

Crisis in Syria: Possibilities and Limits of Military Intervention from our partner the German Institute for International and Security Affairs

Pressure Not War: A Pragmatic and Principled Policy Towards Syria from our partner the Center for a New American Security (CNAS)

Syria: What China Has Learned From its Libya Experience from our partner the East-West Center (EWC)


For more information on issues and events that shape our world please visit the ISN’s Security Watch and Editorial Plan.

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Le facteur syrien de l’anarchie

Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member
Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member (Photo: Freedomhouse2/flickr)

TEL AVIV – L’incapacité de l’administration Obama, de ses alliés occidentaux et d’un certain nombre de puissances régionales du Moyen-Orient de prendre des mesures plus audacieuses pour mettre un coup d’arrêt au carnage syrien est souvent justifiée par leur peur de l’anarchie. Certains soutiennent que compte tenu de l’inefficacité et la désunion manifestes de l’opposition syrienne, la chute du président Bashar al-Assad, lorsqu’elle se produira enfin, entraînera guerre civile, massacres et chaos, susceptibles de se répandre au-delà des frontières de la Syrie, déstabilisant davantage des voisins déjà fragilisés comme l’Irak et le Liban, et conduisant potentiellement à une crise régionale.

La réalité de ce qui se passe en Syrie contredit tout à fait cet argument. En fait, la crise persistante est en train de corroder le tissu de la société syrienne et de son gouvernement. C’est en ce moment-même que s’installe l’anarchie : elle précède – en la précipitant – l’effondrement final de régime.

Les États-Unis, comme beaucoup d’autres, privilégient actuellement les grands discours et les mesures condamnatrices symboliques à une action réelle en Syrie. Les sanctions qui frappent les auteurs d’attaques électroniques dirigées contre les médias sociaux de l’opposition ne sauraient constituer une réponse aux bombardements des quartiers civils d’Homs et de Deraa.

Depuis plusieurs mois, les obstructions russe et chinoise au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies ont constitué de réels obstacles à des sanctions plus efficaces, mais également un voile bien pratique en faveur de l’inaction. Plus récemment, la mission de l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, assurée au nom de la Ligue arabe des Nations Unies, a joué un rôle tout à fait similaire.

Annan a élaboré un plan en six points pour mettre un terme à la violence et amorcer les négociations politiques. Il a fait envoyer en Syrie un groupe d’inspecteurs afin de superviser l’application de ce plan, et l’ONU est sur le point d’appuyer cette mission. Cependant, de façon prévisible, la stratégie d’Annan ne fonctionne pas, comme celui-ci l’a lui-même quasiment reconnu dans un rapport formulé à l’issue d’une session à huis clos du Conseil de sécurité, le 25 avril.

Annan n’a pas utilisé le terme d’échec, mais il a décrit la situation syrienne comme « assombrie ». De toute évidence, la mission d’Annan a ménagé un peu de répit au régime, et créé l’illusion temporaire de progrès politiques et diplomatiques. Pour autant, selon un certain nombre de rapports, en trop grand nombre et bien trop crédibles pour être mis en doute, le régime d’Assad (et, dans une certaine mesure, ses opposants) ne s’est pas conformé au plan après l’avoir pourtant signé : les troupes se sont retirées des zones urbaines avant les inspections, pour les réinvestir une fois les inspecteurs repartis. Des civils et des quartiers entiers ont été sévèrement punis pour s’être plaints auprès des inspecteurs et avoir coopéré avec eux.

Mais la fenêtre de répit concédée au régime ne saurait signifier son salut. À première vue, le régime apparaît presque intact. La loyauté de l’armée et de l’appareil sécuritaire est sans faille, le cabinet n’a subi que peu de défections, et les foyers de population clés de Damas et d’Alep n’ont pas rejoint la rébellion.

Néanmoins, dans le pays en tant qu’ensemble, le gouvernement est en train de s’effondrer. Des régions entières échappent désormais à son contrôle, les services publics ne remplissent plus leur rôle, et l’économie est en chute libre.

La fin du règne d’Assad ne semble toujours pas imminente, mais elle est désormais inéluctable. Le régime a perdu toute légitimité, et son efficacité faiblit. Quand il se sera finalement effondré, l’État puissant bâti par le père de Bashar, Hafez al-Assad, laissera à peine quelques traces.

Un dicton résonne depuis quelques temps dans cette crise syrienne : « La Syrie n’est pas la Lybie ». Une autre analogie semble plus appropriée. La Syrie pourrait bien devenir un second Irak, non par dessein mais comme conséquence involontaire de la politique actuelle.

L’occupant américain en Irak, à travers sa politique de « débaasification », a laissé l’Irak sans armée et sans gouvernement, ce qui s’est avéré être un terrain fertile pour les insurgés sunnites, al-Qaïda, et autres groupes chiites violents. C’est vers une issue semblable que s’oriente actuellement la Syrie, un nombre croissant d’islamistes radicaux pénétrant en territoire syrien pour rejoindre l’opposition.

Dans ce contexte, il est important de considérer la différence entre l’opposition « politique » et les groupes d’opposition locaux qui mènent sur le terrain un combat contre le régime. Des groupes comme le Conseil national syrien consistent en associations informelles d’individus et de groupements, dont beaucoup se situent hors de la Syrie.

Il s’agit là des groupes critiqués par l’administration Obama et bien d’autres pour leur incapacité à démontrer un front uni, à formuler un programme crédible, ou à constituer une alternative viable au régime actuel. Mais ces groupes ont une influence limitée sur les groupes d’opposition locaux situés en Syrie, qui sont tout aussi divers et divisés.

C’est au sein de ces groupes que les islamistes radicaux impriment leur empreinte. La peur d’une nouvelle prise de contrôle islamiste constitue un deuxième argument en défaveur du renversement d’Assad. Pourtant, plus longtemps il restera au pouvoir, plus significative sera la progression des islamistes sur le terrain.

Il n’est pas dans l’intérêt de l’administration Obama, concentrée sur l’élection présidentielle de novembre, d’avoir à gérer une crise majeure en Syrie pendant les mois prochains, sans parler du risque pour elle d’un nouvel enchevêtrement militaire. D’autres acteurs semblent également préférer une crise actuelle apparemment limitée à des alternatives incertaines.

Cependant, les arguments moraux implacables en faveur d’une intervention humanitaire se trouvent de plus en plus renforcés par la raison d’État. De plus, une intervention militaire ou semi-militaire n’est pas la seule option possible. Comme le démontrent clairement les sanctions imposées à l’Iran en dehors du Conseil de sécurité, une action efficace peut être entreprise afin de faire pencher la balance vers une sortie de l’impasse meurtrière syrienne. La faveur actuelle faite à l’inaction, bien qu’elle soit compréhensible, menace d’aboutir précisément aux conséquences que ses partisans s’efforcent d’éviter.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright Project Syndicate


Itamar Rabinovich, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis (1993-1996) intervient actuellement à l’Université de Tel Aviv, à l’Université de New York, ainsi qu’à la Brookings Institution.

For further information on the topic, please view the following publications from our partners:

Crisis in Syria: Possibilities and Limits of Military Intervention from our partner the German Institute for International and Security Affairs

Pressure Not War: A Pragmatic and Principled Policy Towards Syria from our partner the Center for a New American Security (CNAS)

Syria: What China Has Learned From its Libya Experience from our partner the East-West Center (EWC)


For more information on issues and events that shape our world please visit the ISN’s Security Watch and Editorial Plan.

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The Anarchy Factor in Syria

Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member
Syria Independence Flag behind a Free Syrian Army member (Photo: Freedomhouse2/flickr)

TEL AVIV – The failure of the Obama administration, its Western allies, and several Middle East regional powers to take bolder action to stop the carnage in Syria is often explained by their fear of anarchy. Given the Syrian opposition’s manifest ineffectiveness and disunity, so the argument goes, President Bashar al-Assad’s fall, when it finally comes, will incite civil war, massacres, and chaos, which is likely to spill over Syria’s borders, further destabilizing weak neighbors like Iraq and Lebanon, and leading, perhaps, to a regional crisis.

What is actually happening in Syria refutes this argument. In fact, the lingering crisis is corroding the fabric of Syrian society and government. Anarchy is setting in now: it is preceding – and precipitating – the regime’s eventual fall.

The United States and others are substituting high rhetoric and symbolic punitive action for real action on Syria. Sanctions on those involved in electronic warfare against the opposition’s social media are not the answer to the shelling of civilian neighborhoods in Homs and Deraa.