L’effondrement de l’État dans le monde arabe

Protests in Bahrain
Protester in Bahrain. Photo: Al Jazeera English.

BOSTON – Le Printemps arabe a fait naître un torrent d’espoirs chez tous ceux combattant ou œuvrant pour la démocratisation des régimes autoritaires du monde arabe. Aujourd’hui, à la suite des changements de leadership en Tunisie, en Égypte, en Lybie et au Yémen, ainsi qu’au vu de la guerre civile violente qui fait rage en Syrie, et de situations de plus en plus tendues au Bahreïn, au Soudan, en Jordanie et en Irak, le débat tourne de plus en plus autour d’un changement majeur – et d’un espoir d’amélioration – dans la nature et les perspectives de l’État arabe.

Or, cet espoir – vêtu d’un « costume de plumes, » selon la formule de la poétesse américaine Emily Dickinson – démontre souvent peu de ressemblance avec la réalité du terrain. En effet, à y regarder de plus près, la beauté du Printemps arabe semble avoir cédé la place à un hiver extrêmement difficile.

Malgré l’ampleur de l’optimisme apparu il y a deux ans, il se pourrait qu’un certain nombre de réalités politiques rendent le système d’État-nation incompatible avec ce nouveau monde arabe qui émerge aujourd’hui. Ainsi, la capacité de la région à maintenir un équilibre en l’absence d’États-nations stables résonne comme une question de plus en plus épineuse.

Bien évidemment, les problématiques des différents pays arabes varient en degré comme en nature. Certains États comme l’Égypte et la Tunisie disposent d’institutions historiquement ancrées leur permettant d’orienter le processus de construction institutionnelle d’après-crise, et d’empêcher l’écroulement total de l’État. D’autres, comme le Bahreïn et la Jordanie, présentent une relative stabilité. Mais la plupart connaissent une contraction désastreuse de la production, accompagnée de sévères contraintes budgétaires et de systèmes monétaires proches de l’effondrement, voyant ainsi menacées deux composantes intégrantes de la réussite de l’État-nation : indépendance économique et croissance autonome.

Par ailleurs, la plupart de ces pays ont élu des dirigeants (ou largement soutenu des rébellions) entretenant des liens avec ce mouvement islamiste révolutionnaire panarabe que constituent les Frères musulmans (ou, dans le cas du Bahreïn, partisans des objectifs islamistes révolutionnaires de l’Iran). Ces États sont ainsi soumis à une idéologie religieuse qui transcende l’État-nation, plutôt qu’à des gouvernants artisans de programmes durables en faveur de la stabilité sociale, de la prospérité économique, et de la sécurité politique à l’intérieur des frontières nationales.

La vulnérabilité qui en découle a d’ores et déjà abouti à la désintégration récente du Soudan en deux États. Le régime autoritaire du Soudan, les divisions sociales entre les différentes lignes religieuses du pays, ainsi que les difficultés économiques et l’inaptitude politique, ont précipité la chute de l’autorité du gouvernement central dans un sud à majorité chrétienne.

Bien qu’à un rythme plus lent, le même processus semble également se jouer en Irak, qui peine à réunir ses deux peuples, Arabes et Kurdes, de même que les partisans de l’Islam sunnite et de l’Islam chiite, en un seul et même État-nation. L’autorité du centre s’érode peu à peu à mesure que le pays continue de se scinder en régions ethniques et sectarisées, un État souverain kurde s’étant d’ores et déjà bien établi de facto dans le nord.

Pendant ce temps, au Yémen, l’espoir d’une autorité centrale adéquate semble peu à peu disparaître face aux difficultés semble-t-il de plus en plus insolubles auxquelles se heurte le pays – des divisions internes aux mouvements séparatistes, en passant par la présence d’une franchise d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique ou encore la fébrilité de l’économie. Le sud (Aden) et l’est (Hadramaut) suivent tous deux une trajectoire orientée vers l’indépendance, poussant le Yémen dans un nouveau conflit de sécession, près de 25 ans après l’unification fragile du pays.

En Lybie, la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi a plongé le pays dans le chaos, et anéanti l’autorité du gouvernement central. La loi reste inexistante dans le sud, tandis que l’est est régi par le conseil régional de Benghazi ; seul l’ouest demeure soumis au gouvernement fragile de Tripoli.

La situation est encore plus défavorable en Syrie, où les révolutions arabes les plus sanglantes ont d’ores et déjà couté la vie à plus de 75 000 personnes, principalement en raison du comportement du régime tyrannique du président Bachar al-Assad. À mesure que l’État syrien se désintègre, l’effondrement inévitable du régime est voué à conduire à un démembrement définitif du pays, faisant apparaître de facto un État kurde au nord-est, une enclave autonome à l’est pour les survivants alaouites, ainsi qu’une entité druze au sud.

Bien que les États du Bahreïn et de Jordanie se soient révélés relativement plus équilibrés, ils ne sont pas à l’abri de l’instabilité. Certes la révolte chiite au Bahreïn, détournée par une faction iranienne opportuniste et revancharde, a-t-elle échoué à fomenter le renversement de la monarchie des Khalifa. Certes, en Jordanie, la légitimité religieuse de la monarchie des Hachémites a-t-elle préservé l’État face aux défis croissants présentés par les Frères musulmans, tandis que la crainte de voir les violences régionales se répandre dans le royaume a pendant un temps calmé l’appétit de l’opinion jordanienne pour la rébellion.

Pour autant, ces deux États ne disposent pas des finances nationales nécessaires à la préservation de leurs institutions. S’ils entendent survivre au siècle prochain, il leur faudra probablement s’intégrer dans une union soutenue par un État-nation plus étendu, plus puissant et mieux établi.

De plus, la désintégration dont la région est témoin – et à laquelle elle continuera sans aucun doute de faire face – est vouée à se refléter au-delà de la région arabe, avec la création d’un État kurde souverain. Un tel État, existant de fait ou reposant sur une reconnaissance formelle et globale, aurait un effet durable sur les frontières du monde arabe (Syrie et Irak) ainsi que de l’ensemble du Moyen-Orient (Turquie et Iran).

Le Printemps arabe est parvenu à terrasser certains régimes, échouant à en renverser certains autres. Mais, plus important encore, partout dans le monde arabe – et au-delà – il a soulevé la question de la viabilité de l’État-nation. Le temps des révolutions est passé ; celui de la réflexion active est à venir.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Copyright Project Syndicate


Nawaf Obaid est intervenant au Centre Belfer des sciences et affaires internationales de la Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard. Cet article est adapté d’un rapport plus étendu intitulé “The Long Hot Arab Summer,” et publié par le Centre Belfer.

For additional reading on this topic please see:

Yemen’s Military-Security Reform: Seeds of New Conflict?
Probing for Chemical Attacks in Syria
Kein Frühling in Bahrain


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Time to Unblock Macedonia’s Accession to NATO

Image by NATO.

The first visit of US Secretary of State John Kerry to Afghanistan last month underscored the changing nature of Western involvement in the country. Kerry, among other important discussions, finalised the transfer of the Parwan detention centre over to Afghan authorities. The centre has long been a symbol of the Afghan government’s demands for national sovereignty, and the transfer is indicative of a larger shift, which will see the NATO International Security Assistance Force (ISAF) withdraw by the end of 2014.

In the context of this reorientation away from Afghanistan, now is a critical time for Europe to re-evaluate its priorities. The situation at home should give it pause, with economic and political turmoil roiling the continent, and the European project of enlargement – once advanced under the optimistic banner of “Europe Whole and Free” – largely stalled. Now is the time for the continent to recommit itself to the original sources of its strength – integration and cooperation.

In practice, this means that European institutions, rather than commit to decades of nation building in Asia, should recognise those countries at home that contribute positively to the European project, in terms of economic prosperity, political stability, and international security. A leading example of such a country is Macedonia, whose contributions to the European community have far outstripped its modest population. Yet the leaders of both NATO and the EU have allowed the economic crisis and petty internal conflicts to put the brakes on one of their core missions: the expansion of European institutions to qualified regional partners.

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Niger: Development Cooperation Must Support the Environmental Governance of Uranium Mining

Aerial view of Saga Kourtey area in Niamey, Niger. Image by jeanotr/Flickr.

Niger’s new development strategy, the Economic and Social Development Plan, is also intended to guide international development cooperation. Environmental governance of uranium mining, the country’s by far largest single economic activity, appears hitherto to have constituted a ‘blind spot’ for environmentally oriented development cooperation. It is now time to remove the blinkers and include support to strengthen environmental governance of the mining sector in new programmes to assist Niger in meeting its development challenges

Niger is well known in international media as one of the world’s poorest countries, struggling with chronic structural hunger and malnutrition. UNDP ranks Niger 186 out of 187 countries in the Human Development Index, and in 2011, five million people (33% of Niger’s population) were at ‘high risk’ to food insecurity.

What is less well known is that Niger also hosts the fourth largest uranium production in the world. Export values totalled over EUR 348 million in 2010, representing more than twice the total development assistance finance received during the same year. However, the state retains less than one fifth of the value of the uranium ore that is exported. The exploitation of the mineral wealth by international investors is expanding, with granted and requested mining concessions comprising close to 10% of the national territory.

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Disturbing Disconnects in the US-Japan Alliance

Image by The White House/Flickr.

President Barack Obama won a second term and the Liberal Democratic Party (LDP) has returned to power in Tokyo, with former Prime Minister Abe Shinzo reclaiming the Prime Minister’s Office. All should be right in the alliance as familiar faces and capable hands retain or regain the reins of government, right? Not exactly.

Recent conversations, in conferences and in Tokyo, with officials and analysts from both countries, have highlighted troubling divergences in thinking. The US-Japan alliance remains popular in both countries, but a convergence of strategic and security concerns belies an undercurrent of emotion and uncertainty in Japan that must be acknowledged and addressed.